Les Libellules
Logements
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HISTORIQUE / SITUATION
Constater. Pendant la seconde moitié du XXe siècle, Vernie a profité d’un développement spectaculaire, caractérisé par de grands ensembles incarnant tant bien que mal les idéaux du modernisme (Le Lignon, Les Avanchets).
Conçu à la fin des années 1950, l’audacieux programme dans lequel s’inscrit le bâtiment des “Libellules” prévoit des immeubles aux configurations diverses et aux gabarits variables, pris entre l’avenue de l’Ain, la route de l’Usine-à-Gaz et le chemin de l’Écu. Mais le projet perd sa cohérence et, malheureusement, se concrétise au fil des ans dans une regrettable disharmonie architecturale et urbanistique. Immeuble phare du secteur, la barre coudée des “Libellules” est un monde en soi : 9 étages d’habitation, 8 entrées, 504 appartements et 1 200 habitants. Inauguré en 1968 et répondant aux standards de son temps, le bâtiment est vite rattrapé par les difficultés socio-économique que subit la région. L’âge d’or du plein emploi révolu, la mixité sociale s’évapore.
Concentrant désormais une importante population à faible revenu ou précarisée, l’immeuble devient à lui seul un quartier sensible charriant son lot de détresse humaine, d’insécurité et d’espaces dégradés.
Alors que la misère sociale semble omniprésente et que le fatalisme gagne des habitants stigmatisés, la Fondation Emile Dupont propriétaire des lieux échafaude un plan d’attaque pour résoudre cette question. La tâche est immense ? La volonté des acteurs aussi.
PROGRAMME
Réfléchir. Les premières études pointent le double problème d’un isolement social et urbain. Sans être loin du centre de Genève, les “Libellules” apparaissent comme un îlot perdu dans un périmètre déqualifié, aux rares équipements de proximité et aux piteuses connexions avec la ville.
Le rythme des déménagements prouve qu’y vivre est un choix au rabais. Ceux qui ont la chance et les moyens de quitter les lieux ne s’en privent pas, bien vite remplacés par de nouveaux venus précarisés, s’ajoutant eux-mêmes aux occupants les plus fragiles.
Ce constat montre que les travaux ne peuvent se réduire à une simple réhabilitation technique. La dimension humaine sera donc au centre du cahier des charges confié aux architectes et lorsqu’il s’agira d’améliorer les entrées, de clarifier les accès, de créer des espaces de rencontres et de sécuriser les lieux, les réponses apparaîtront moins comme une critique du bâtiment que comme un recentrage autour de l’humain. Un questionnement original qui appelle à des solutions inédites, durables et destinées au plus grand nombre.
PROJET
Agir. Gommer les exclusions géographiques et sociales, raccommoder les anciennes fonctions d’espaces inadaptés avec les nouveaux besoins, composer avec la mixité sociale des résidents : le défi échappe aux schémas habituels de transformation de grands ensembles. La recherche des meilleures potentialités se concrétise dans la réhabilitation des appartements et des communs, la création de 10 espaces de vie, mais aussi dans la construction de locaux d’activités artisanales, commerciales et sociales, l’aménagement d’espaces de jeux et la modification du parking extérieur. Deux directions matérialisées à travers plusieurs thèmes fondamentaux, autant d’axes majeurs du projet. L’enveloppe extérieure du bâtiment est améliorée en remplaçant les toiles déchirées par des stores à lamelles. À l’intérieur, les appartements sont remis à neuf, avec installation d’appareils sanitaires et de cuisine modernes, remplacement du système électrique et des corps de chauffe. Sur la toiture, 462m2 de capteurs solaires thermiques contribuent à alimenter le bâtiment en eau chaude sanitaire. Au sous-sol, les garages rafraîchis et sécurisés sont désormais accessibles par badge.
Les changements typologiques portent sur la création de 18 appartements familiaux, nés de la réunion de petits logements. Une option qui réduit le nombre total d’unités d’habitation (476 au lieu des 504 d’origine), mais qui vise intelligemment à sédentariser les couples avec enfants. Autre point important, la mise en place de dix “espaces de vies”. Aménagés sur les studios existants, ces lieux favorisent la sociabilité. Réservés pour des projets associatifs, des activités créatives ou festives, ils permettent une réelle réappropriation du site. Boîtes en aluminium débordant des façades, ces espaces marquent le renouveau des “Libellules” et assument leur affectation singulière.
Une attention a été portée à l’amélioration des locaux communs. Sous une signalétique originale et mûrement étudiée (police d’écriture, identification chromatique), les halls d’entrées - jusqu’ici banale surface de circulation - se sont vus requalifiés par l’association de locaux utiles (buanderies, vélos, poussettes) et revalorisés par l’apport de surfaces vitrées.
Reliés aux entrées de l’immeuble par une sorte d’espace rue nouvellement créé, les constructions neuves du rez-de-chaussée répondent à la volonté d’aménager des lieux de vie complémentaires et des équipements de proximité. De forme libre, laissés bruts hormis les sanitaires, ces édicules se composent d’une ossature en bois ramenée sous une toiture végétalisée plate en béton. Le jeu visuel des poteaux incliné singularisent ces locaux accueillant un jardin d’enfants, une ludothèque, un commerce de seconde main, un centre de quartier, une salle d’expositions, deux espaces polyvalents et un lieu associatif. Cette réappropriation des abords passe aussi par la création d’un terrain de jeux, d’un parc à chiens, la démolition de l’ancien garage à motos rebâti dans un endroit plus adéquat et l’installation d’éco-points.
À l’arrière, près de l’école, un espace de repos pour les aînés et de jeux pour les petits est mis en place, sans provoquer de nuisances pour les appartements proches. Des jardins potagers sont aménagés et mis à la disposition des habitants.
Le planning des travaux a considéré la délicate promiscuité quotidienne d’équipes d’ingénieurs spécialisés, de dizaines d’ouvriers et de résidents bousculés, contraints de déménager temporairement dans des appartements de transfert. Une tâche millimétrée qui ne pouvait souffrir du moindre décalage sans risquer de gripper toute la machine. En 39 mois, l’excellente collaboration entre protagonistes a rendu possible cette aventure dans le respect des coûts et des délais. Un défi relevé avec brio, une réhabilitation exemplaire parce qu’elle a su entendre les besoins et les attentes des hommes et des femmes qui habitent le lieu.